Ces dernières semaines, le monde a pris conscience des dangers de la COVID-19. La réponse mondiale pour « aplatir la courbe » est sans précédent, et on s’en souviendra probablement comme d’une initiative de santé publique véritablement historique.
Alors que nous peinons à nous habituer aux nouvelles normes de distanciation physique, d’autoconfinement et de travail à domicile, nous avons facilement l’impression de nous trouver en terre inconnue. Mais beaucoup de personnes vivant avec le VIH (PVVIH) se sentent plutôt en terrain connu. Pour Darren Lauscher (en photo), militant chevronné de la lutte au VIH et membre du Comité consultatif auprès de la communauté (CCC) du Réseau, « C’est un retour aux années 1980. Il faut tout réapprendre ».
Le monde a bien sûr changé depuis l’émergence du VIH, mais en cette période d’incertitude, nous devons nous mettre à l’écoute de ceux qui ont traversé cette pandémie pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Le Réseau s’est adressé à plusieurs vétérans de la lutte au VIH pour tenter d’étoffer la réponse à la COVID-19 grâce à leur expérience.
L’histoire se répète
Les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) savent bien ce qu’est une pandémie mondiale. Ceux qui se rappellent les premiers jours de la pandémie de sida, voient des tendances se répéter. M. Lauscher se souvient du sentiment de paranoïa qui s’est emparé de la communauté gaie lorsque le VIH est apparu. Il constate malheureusement certaines tendances familières à travers l’inquiétude, la confusion et la stigmatisation auxquelles nous assistons aujourd’hui. « Les PVVIH comprennent la gravité de la situation », affirme-t-il. « Nous vivons toujours les contrecoups de la pandémie de VIH, nous savons ce qu’il en est. »
John McCullagh, un membre du conseil d’administration de l’organisme CATIE, se souvient aussi de l’impact initial de la stigmatisation sur la communauté gaie : « la stigmatisation pouvait être aussi mortelle que le virus », se rappelle-t-il. Aux prises avec des peurs et des incertitudes, les gens cherchaient souvent un bouc émissaire pour canaliser leurs appréhensions. Dans les années 1980, c’était la communauté gaie, mais de nos jours, il craint une possible stigmatisation de nature ethnique.
McCullagh s’inquiète aussi de l’utilisation à mauvais escient de mesures punitives pour contenir la COVID-19. Ces mesures peuvent facilement conduire à des abus et posent des risques importants pour les droits de la personne. Par exemple, pendant les années 1980 et 1990, ne pas divulguer son statut à l’égard du VIH à un partenaire sexuel pouvait mener à une arrestation même si d’autres mesures de protection étaient appliquées. Beaucoup de personnes ont été emprisonnées par suite de cette directive, sans parler de la déshumanisation qui l’accompagnait. « La santé est un droit », rappelle M. McCullagh, « et il faut protéger ce droit. Cela inclut protéger les membres les plus vulnérables de notre société ».
Néanmoins, M. Lauscher se rappelle aussi de l’incroyable mobilisation qui a suivi l’émergence du VIH. Face à la stigmatisation et à la discrimination, la communauté gaie s’est serré les coudes et a créé un mouvement de solidarité avec des alliés et des professionnels de la santé; elle s’est exprimée haut et fort pour demander l’accès à des médicaments capables de sauver des vies. M. Lauscher rappelle l’importance de la solidarité des communautés : « C’est à l’échelle des communautés que se fera la lutte à la COVID-19 », une tendance à laquelle nous assistons déjà.
Une place à la table : La recherche à l’ère de la COVID-19
La propagation rapide de la COVID-19 a demandé des réactions immédiates et novatrices à la crise, y compris une réorientation des efforts de recherche. L’accélération de cette recherche signifie que les investigateurs doivent se fier à du matériel existant. Par exemple, ceux de l’Hôpital Saint-Paul, à Vancouver, ont adapté pour la COVID-19 deux appareils diagnostiques Roche habituellement utilisés pour les tests du VIH et de l’hépatite C, avec une capacité de plus de 2 000 tests par jour.
Le Dr Joel Singer, responsable du Programme de méthodologie et statistiques du Réseau, a commencé à s’impliquer dans la recherche clinique au début de l’épidémie de VIH. « J’ai rapidement compris qu’il faut changer notre façon de faire de la recherche quand une situation inédite se présente », explique-t-il. « Lorsque j’ai commencé à faire de la recherche sur le VIH, la maladie se propageait rapidement dans le monde. Il n’y avait alors qu’un seul traitement, l’AZT, et nous avons très vite constaté qu’en monothérapie, il serait d’une efficacité limitée. » Les nouvelles approches adoptées par le Dr Singer et d’autres chercheurs ailleurs dans le monde ont mené à la mise au point du traitement antirétroviral, ou TAR, qui permet désormais aux personnes séropositives de vivre longtemps et en bonne santé. Certains de ces médicaments sont actuellement testés pour le traitement de la COVID-19.
Le VIH a eu un impact durable sur la façon de faire de la recherche médicale, particulièrement en ce qui concerne la participation des communautés touchées. « Je crois que c’est à partir de l’épidémie de VIH que la participation des patients à tous les aspects de la recherche a été popularisée », affirme le Dr Singer. « Les PVVIH voulaient s’impliquer, et la plupart des chercheurs se sont éventuellement ralliés à cette idée lorsqu’ils ont compris que cette participation comportait plusieurs avantages. » M. McCullagh convient que l’un des héritages du mouvement de lutte contre le sida est la création de liens entre les professionnels de la santé et les membres de la communauté. Il rappelle à quel point la participation de la communauté permet d’obtenir de meilleurs résultats en tenant compte des besoins des patients les plus vulnérables.
M. Lauscher milite depuis longtemps pour la participation des PVVIH à la recherche clinique grâce à son implication auprès du CCC. « Il est très important d’avoir une place à cette table », affirme-t-il. « Nous avons déjà établi des liens étroits qui peuvent facilement être adaptés à la recherche sur la COVID-19. » Il croit que l’épidémie de VIH a enseigné aux chercheurs à penser autrement et à reconnaître la valeur d’une recherche appliquée aux besoins des patients qu’ils souhaitent desservir.
Par-dessus tout, la principale leçon retenue selon M. Lauscher est l’humanisation des personnes qui souffrent de la COVID-19. « Grâce à la lutte menée contre le VIH, nous pouvons montrer au monde que nous sommes plus qu’un spécimen dans une boîte de Pétri. » Il croit que l’humanisation de la pandémie fera en sorte que les gens continuent de respecter la distanciation physique et de prendre soin les uns des autres en cette période de crise. « Le VIH nous a enseigné que les gens se font mieux entendre quand ils unissent leur voix. »