Comme nous le savons à présent, la pandémie de COVID-19 a mis au jour bon nombre des iniquités qui frappent la société canadienne. Nous savons que les personnes regroupées dans des milieux fermés qui sont atteintes de maladies chroniques ont tendance à être les plus vulnérables, tout comme les communautés de couleur et autres en situation de marginalisation.
Un groupe répond à tous ces critères et demeure pourtant ignoré : la population carcérale.
« La majorité des détenus des prisons provinciales sont libérés après quelques semaines de détention. Il pourrait s’agir de votre coiffeuse, votre voisin ou de celui qui emballe vos emplettes. Ils font partie de votre communauté », rappelle la Dre Nadine Kronfli, chercheuse et investigatrice principale du Réseau actuellement impliquée dans deux études mesurant l’impact de la COVID-19 sur les populations carcérales canadiennes. « Pourquoi alors n’avons-nous pas accordé aux prisons l’attention qu’elles méritent lorsqu’il est question d’enrayer la propagation de la COVID-19?
Prisons et établissements de soins de longue durée : Une comparaison valable?
Lorsqu’il est question de COVID-19, la Dre Kronfli compare les prisons aux établissements de soins de longue durée. Premièrement, les deux regroupent une population dense vivant et travaillant dans un milieu fermé. Deuxièmement les deux abritent une forte proportion de personnes souffrant de comorbidités, l’hypertension et le diabète étant les plus fréquentes en milieu carcéral. Troisièmement, comme dans les établissements de soin de longue durée, les frontières sont poreuses entre ces milieux et les communautés avoisinantes, car le personnel, le public et les détenus entrent et sortent régulièrement.
Depuis le début de la pandémie, les éclosions de COVID-19 dans les établissements de soins de longue durée ont fait couler beaucoup d’encre d’un bout à l’autre du pays, mais les prisons ont relativement peu fait parler d’elles, malgré les éclosions qu’elles ont aussi connues. Certaines études ont fait état d’une prévalence des cas de COVID-19 pouvant atteindre 87 pour cent chez les détenus, rivalisant ainsi avec les établissements de soins de longue durée les plus durement touchés.
Contrairement à la plupart des établissements de soins de longue durée, cependant, les personnes autochtones et de couleur sont surreprésentées dans les prisons, tant fédérales que provinciales. Comme on le constate à présent, ce sont les personnes racialisées, surtout noires et autochtones, qui ont porté le fardeau de la pandémie de COVID-19. Ces facteurs, combinés à un accès limité aux services de santé, à la surpopulation et à la difficulté d’appliquer la distanciation physique, exposent les détenus à un risque particulier à l’égard de la COVID-19.
Collecte de données sur la COVID-19 en milieu carcéral
La Dre Kronfli a notamment fait ses premières armes en milieu carcéral en travaillant auprès de détenus à l’occasion de l’étude CTNPT 034, qui comparait le dépistage de l’hépatite C standard à celui du point de service de la plus grande prison provinciale du Québec. Dre Kronfli est aussi prof de médecine chez l’Université de McGill et travaille comme scientifique au sein du programme des maladies infectieuses et de l’immunité en santé mondiale de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill.
Alors qu’elle espérait continuer ses travaux pour éliminer l’hépatite C dans le système carcéral canadien, en 2020, ses travaux ont pris un nouveau tournant pour mieux étudier la séroprévalence de la COVID-19 dans les prisons et améliorer le déploiement de la vaccination.
Sa première étude, financée par le Groupe de travail sur l’immunité face à la COVID-19, souhaite dresser un portrait plus exact de la COVID-19 dans les prisons provinciales du Québec. La Dre Kronfli et son équipe effectueront des dosages d’anticorps dans trois prisons provinciales québécoises pour mieux comprendre la proportion du personnel et des détenus qui ont été exposés au SRAS-CoV-2. Un autre investigateur du Réseau, le Dr Alexander Wong, procèdera à une étude parallèle en Saskatchewan.
En outre, dans le moment, les tests de dépistage de la COVID-19 dans les prisons ne sont effectués que sur les personnes qui commencent à manifester des symptômes. Mais des experts prédisent qu’une personne COVID-19-positive sur cinq ne manifeste aucun symptôme. Beaucoup de détenus sont incarcérés très brièvement (de 24 à 48 heures), ou temporairement en attente d’un procès. Ces populations en transit sont une autre raison pour laquelle il a été extrêmement difficile de suivre l’impact de la COVID-19 dans les prisons.
Pour l’instant, les données sont cruciales, particulièrement alors que les provinces continuent de déployer leurs programme de vaccination et d’évaluer les populations à prioriser.
« L’objectif est d’utiliser nos données en temps réel », explique la Dre Kronfli. « En matière de vaccination, nous espérons prioriser les personnes incarcérées dans la planification provinciale, et pour ce faire, nous avons besoin de mieux comprendre ce qui se passe. » Les décideurs eux-mêmes ont déploré l’absence de données sur la COVID-19 dans les prisons, et réclament d’autres études comme celles de la Dre Kronfli et du Dr Wong pour combler ces lacunes.
Vaccination dans les établissements carcéraux
La seconde étude de la Dre Kronfli, financée par l’Initiative interdisciplinaire en infection et immunité de l’université McGill, vise à améliorer les taux de vaccination contre la COVID-19 dans les prisons fédérales en concevant et en appliquant un programme d’éducation sur la COVID-19 afin de donner aux détenus des outils pour une prise de décision éclairée relativement à la vaccination.
« Les gens invoquent différentes raisons pour refuser la vaccination dans les prisons », explique la Dre Kronfli. « Mais selon des données probantes, l’éducation, si elle est transmise par des sources dignes de foi, peut améliorer les taux d’adoption du vaccin. »
Ce programme souhaite améliorer les taux de vaccination, historiquement faibles dans les prisons, comme le vaccin antigrippal, qui n’est généralement accepté que par le tiers des détenus. « L’adoption du vaccin contre la COVID-19 chez les populations carcérales devra augmenter nettement pour atténuer l’impact potentiel de la COVID-19, même au niveau sociétal, » affirme la Dre Kronfli.
L’équipe commencera par interviewer les détenus afin de déterminer le type d’information à inclure dans un tel programme d’éducation. L’équipe de la Dre Kronfli concevra ensuite un programme en fonction des priorités identifiées lors de ces entrevues. Le programme d’éducation sera ensuite offert par le personnel infirmier et par des pairs dans trois établissements fédéraux en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec.
Pour évaluer l’efficacité de l’étude, l’équipe, qui inclut les Drs Joseph Cox et Bertrand Lebouché investigateurs du Réseau, mesurera les changements dans les connaissances globales des détenus sur la COVID-19, sur l’existence des vaccins, ainsi que leur volonté de se faire vacciner, avant et après l’intervention. Si elle est efficace, l’intervention pourrait être appliquée dans l’ensemble du système carcéral canadien pour améliorer l’adoption du vaccin dans la population carcérale canadienne qui compte environ 40 000 individus.
Des données pour la défense des intérêts
Pour lutter efficacement contre les iniquités en matière de COVID-19, les données sont cruciales. « Au bout du compte, je recueille ces données pour défendre les intérêts des détenus, » affirme la Dre Kronfli. « Si les décideurs comprennent mieux l’impact de la COVID-19 chez les détenus, nous espérons qu’ils agiront. »
La Dre Kronfli concède cependant que la multiplication des tests et les programmes d’éducation ne sont pas les seules solutions pour réduire le nombre de cas de COVID-19 dans les prisons; des mesures élargies méritent d’être envisagées pour améliorer la sécurité et la santé de la population carcérale canadienne. Par exemple, au début de la pandémie environ 25 % des prisonniers canadiens ont été libérés prématurément, la plupart en attente de procès ou purgeant des peines intermittentes ou de fin de semaine. Selon des études de suivi, cela a eu un effet à la baisse sur les éclosions de COVID-19, sans faire augmenter le taux de criminalité ou de réincarcération.
Pourquoi le Canada n’a-t-il pas appuyé d’autres politiques pour protéger la population carcérale, comme il l’a fait pour les établissements de soins de longue durée? « Ultimement, c’est que les détenus sont traités comme des citoyens de seconde zone, » conclut la Dre Kronfli. « L’état ne sent pas la même responsabilité à l’endroit des personnes en détention. Mais il ne faut pas punir ces gens en mettant leur santé en péril. C’est inacceptable. »