Lorsque leur tour est venu de recevoir leur première dose de vaccin contre la COVID-19, Muluba Habanyama et Enrico Mandarino avaient beaucoup de questions. Ces deux résidents de Toronto sont porteurs du VIH depuis 25 ans, Muluba a reçu son diagnostic alors qu’elle avait deux ans et Enrico a contracté le VIH à 28 ans; et ils savent bien qu’il y a un risque accru de maladie grave s’ils contractent la COVID-19.

Enrico Mandarino

« Il y a la peur d’être malade, mais a également une grande appréhension car les connaissances scientifiques sur la COVID-19 évoluent rapidement », résume Enrico. « C’est merveilleux que le monde bouge si vite et se mobilise autant à ce sujet, mais aucun vaccin n’avait encore été rendu disponible en aussi peu de temps. Nous vivons avec le VIH depuis 40 ans et il n’y a toujours pas de vaccin! »

Muluba ajoute, « j’ai eu connaissance de chaque théorie du complot qui circule. Nous ne savons pas comment nous allons réagir au vaccin, et que dire des effets indésirables? En réalité, dans quelle mesure nous protégera-t-il? J’ai parlé avec beaucoup d’amis dans la communauté et ils sont inquiets. »

Ces deux membres du Comité consultatif auprès de la communauté du Réseau canadien pour les essais VIH (le Réseau) des IRSCont finalement reçu leur premier vaccin, même s’ils n’ont pas obtenu de réponse à toutes leurs questions. Ils attendent impatiemment les résultats d’une nouvelle étude, appelée HIV-COV, qui évaluera la réponse immunitaire et l’efficacité du vaccin contre la COVID-19 chez les personnes vivant avec le VIH.

Les résultats permettront d’orienter les lignes directrices pour la vaccination

« Pour l’instant, nous ne comprenons pas totalement comment le VIH lui-même agit sur la réponse immunitaire à la vaccination contre la COVID-19 », explique la Dre Cecilia Costiniuk, du Réseau, co-investigatrice principale et chercheuse à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill. « L’expérience nous a appris que beaucoup de personnes vivant avec le VIH ne développent pas une réponse immunitaire aussi robuste à plusieurs vaccins d’usage courant, comparativement aux personnes VIH-négatives. »

Cela signifie que les personnes vivant avec le VIH pourraient avoir besoin de doses de vaccin plus fortes ou de rappels additionnels pour obtenir la même protection. Étudier le système immunitaire de cette population après la vaccination contre la COVID-19 permettra d’orienter les stratégies posologiques et les lignes directrices pour la santé publique et la pratique clinique en ce qui concerne les 67 000 Canadiens vivant avec le VIH.

L’équipe de l’étude HIV-COV recrutera 400 personnes vivant avec le VIH dans des cliniques de Montréal, Ottawa, Toronto et Vancouver. Au cours de l’étude d’une durée d’un an, des prélèvements sanguins serviront au dosage des anticorps anti-COVID-19 et autres marqueurs de la fonction immunitaire avant puis après la vaccination. Cette information sera comparée à celle d’un groupe témoin de 100 personnes VIH-négatives.

Accent sur les sous-groupes les plus vulnérables

Les chercheurs s’intéresseront plus particulièrement aux patients âgés, à ceux dont les taux de globules blancs (qui combattent les infections) sont plus bas et aux personnes qui présentent plusieurs problèmes de santé.

Le Dr Curtis Cooper du Réseau, également co-investigateur principal de cette étude et chercheur à l’hôpital d’Ottawa, explique que « de petits groupes de personnes vivant avec le VIH dont l’état de santé est stable et qui ne présentent aucune autre comorbidité ont participé à des essais cliniques sur des vaccins. Mais ces données ne s’appliquent pas aux sous-populations les plus vulnérables. C’est ce que tentera de faire la présente étude. »

Enrico fait aussi partie de l’équipe de l’étude HIV-COV en tant qu’investigateur communautaire. Il affirme que l’attention portée à ces groupes clés est d’une importance vitale, surtout en les encourageant à se faire vacciner. « Les personnes âgées vivant avec le VIH, en particulier, sont souvent réticentes à recevoir le vaccin. Elles ont connu l’épidémie de sida et prennent tous différents médicaments et traitements. Beaucoup de mes amis sont d’avis qu’on ne répare pas ce qui n’est pas cassé. Moi, par exemple, je continue de prendre de la névirapine, un des plus anciens médicaments pour le VIH, approuvé en 1996. »

Au cours de l’étude d’une durée d’un an, des prélèvements sanguins serviront au dosage des anticorps anti-COVID-19 et autres marqueurs de la fonction immunitaire avant puis après la vaccination. THE CANADIAN PRESS/Nathan Denette

Étude intégrée à un projet plus grand

L’étude HIV-COV fait partie d’un projet plus grand, de 2,6 millions de dollars, COVAXHIV, financé en bonne partie par le gouvernement du Canada par l’entremise du Groupe de travail sur l’immunité face à la COVID-1 et du  Groupe de référence sur la surveillance des vaccins. Un soutien additionnel a été fourni par le Réseau, les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et l’étude Halte à la propagation, de l’Hôpital d’Ottawa.

L’autre segment du projet COVAXHIV s’intéressera à l’efficacité du vaccin chez les personnes vivant avec le VIH par le biais d’une analyse des dossiers de santé publique provinciaux en Ontario et en Colombie-Britannique. Il sera dirigé par deux investigatrices du Réseau, la Dre Ann Burchell, directrice de recherche au département de médecine familiale et de santé communautaire de l’Hôpital St-Michael’s (Réseau universitaire de santé de Toronto), et la Dre Hasina Samji, chercheuse principale au Laboratoire de lutte contre la maladie de la Colombie-Britannique. Elles suivront plus de 35 000 personnes vivant avec le VIH dans les deux provinces pour observer le taux d’adhésion à la vaccination contre la COVID-19 et les taux subséquents d’infection et d’hospitalisation. Elles examineront en outre les déterminants sociaux de la santé pour voir si l’âge, le sexe et des facteurs géographiques et socioéconomiques exercent un impact sur l’efficacité des vaccins.

« Il s’agit du plus gros projet au Canada à ce jour à évaluer le vaccin contre la COVID-19 auprès de cette population vulnérable », rappelle le Dr Aslam Anis, directeur national du Réseau et investigateur principal de l’étude COVAXHIV. « Il s’agit de renseignements indispensables pour nous aider à prévenir les cas graves et les décès. »

Une communauté en attente de réponses

Muluba Habanyama

Muluba et Enrico ont passé les 15 derniers mois confinés à la maison, en faisant le maximum pour se protéger. Ils devraient recevoir leur deuxième dose de vaccin contre la COVID-19 bientôt, ce qui signifie qu’ils seront entièrement vaccinés, conformément aux lignes directrices médicales actuelles. Mais ils savent que tout peut changer pour les personnes vivant avec le VIH quand les résultats de l’étude seront dévoilés. Pour l’instant, les deux affirment ne pas être pressés de revenir à la « vie normale ».

« La pandémie a affecté les personnes vulnérables beaucoup plus que la population générale » selon Enrico. « Mon ami qui a 70 ans et qui a contracté le VIH il y a plus de 40 ans a besoin d’encouragements et d’informations pour prendre une décision éclairée. L’ironie, c’est que les personnes vulnérables craignent davantage le vaccin, et leur vulnérabilité devient alors un obstacle encore plus grand à leur sécurité. C’est ma raison de participer à la recherche… pour les intérêts supérieurs de notre communauté. »

« C’est le propre de la recherche. On n’en tire pas personnellement profit, mais à long terme, cela aide la communauté », ajoute Muluba. « C’est une étude très importante et nous devons maintenir le rythme. La COVID-19 est quelque chose qui ne partira pas, nous devons trouver des réponses à nos questions. »

Écrit par :

Elaine Yong