Dans les années 1980, au moins 2 000 Canadiens ont contracté le VIH à la suite de transfusions sanguines, lors d’un événement qualifié de « la pire catastrophe de santé publique évitable au Canada ». Avec la malheureusement forte association entre le VIH/sida et les hommes homosexuels à l’époque, il a été introduit des critères d’admissibilité qui excluaient du don de sang tout homme ayant eu des rapports sexuels avec un autre homme depuis 1977; ces critères ont été intégrés dans la réglementation de Santé Canada en 1992.
Les critères d’admissibilité ont plus ou moins évolué au cours des années, mais sont restés une barrière pour certains homosexuels, bisexuels et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HRSHgb). En 2013, les critères ont été actualisés de sorte que les HRSHgb devaient attendre cinq ans après avoir eu des rapports sexuels avec un homme pour donner du sang, ils ont été actualisés à un an d’attente en 2016, et actualisés de nouveau à trois mois d’attente en 2019.
Également en 2019, BMC Public Health a publié une étude sur le point de vue des HRSHgb sur la réforme de la politique du don de sang au Canada, cosignée par les chercheurs du réseau, les Dr Daniel Grace, David Brennan et Nathan Lachowsky, aux côtés du Dr Trevor Hart, co-directeur de l’équipe de prévention. À l’aide d’entretiens avec des participants de l’étude CTN 300: The Engage Study, l’équipe a appris que l’actualisation des critères à une période d’exclusion de trois mois ne changerait pas les questions de justice et d’équité dans les pratiques de don de sang pour les HRSHgb.
« Les points de vue de nos participants sur l’équité en matière de politiques étaient guidés par la conviction générale que les différences de politiques fondées sur la sexualité ou l’identité, ou sur des comportements étroitement liés à l’identité, sont intrinsèquement injustes et discriminatoires », a déclaré le Dr Grace, professeur agrégé à l’École de santé publique et des sciences de la santé sociale et comportementale Dalla Lana de l’Université de Toronto.
En outre, la recherche publiée par la même revue en 2022, recommande de modifier la politique en matière de dons pour passer à une politique d’exclusion individuelle fondée sur le risque et appliquée à tous les donneurs, indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.
Une autre année, un autre changement
Une modification importante arrive. D’ici la fin septembre 2022, il n’y aura plus de critères d’admissibilité au don de sang spécifiques aux HRSHgb. Au lieu de cela, toute personne, quelle que soit son identité de genre ou sa préférence sexuelle, sera interrogée sur son activité sexuelle au cours des trois derniers mois.
« Il s’agit d’un changement historique dans les pratiques de dépistage sanguin qui ne considère plus tout rapport sexuel entre hommes comme risqué. Il s’agit d’un changement que nos communautés réclament depuis plus de dix ans », a déclaré le Dr Lachowsky, professeur agrégé à l’École de santé publique et de politique sociale de l’Université de Victoria. « Ce changement est aussi quelque chose que les communautés transgenres ont revendiqué. Cependant, il y a encore beaucoup de HRSHgb (et de personnes) qui ne pourront pas donner leur sang. Ainsi, les efforts de plaidoyer continueront de veiller à ce que le système n’exclue pas les donneurs autrement sûrs de contribuer. »
Ces exclusions peuvent concerner les personnes ayant récemment pris une PrEP ou une prophylaxie post-exposition (PPE), deux méthodes incroyablement efficaces de prévention du VIH, car les critères resteront en place, stipulant que les personnes qui prennent ces médicaments ne pourront pas faire de don pendant les quatre mois suivant leur dernière prise. En outre, toute personne ayant eu des rapports sexuels anaux avec de nouveaux ou de multiples partenaires au cours des trois mois précédents ne pourra pas donner son sang pendant trois mois supplémentaires. La raison de ces fenêtres d’exclusion est que, si l’infection par le VIH a été contractée très récemment, les niveaux du virus dans le sang donné peuvent être trop faibles pour être détectés par les dépistages standards.
Enfin, les personnes vivant avec le VIH qui suivent un traitement efficace et ont une charge virale indétectable ne peuvent pas transmettre le VIH par voie sexuelle.
Réparer les liens brisés
« Ce changement le plus récent, qui consiste à supprimer l’exclusion de trois mois à la suite d’un rapport sexuel avec un autre homme en faveur d’un dépistage fondé sur le comportement pour tous les donneurs, représente une étape importante, mais le travail n’est pas terminé », a expliqué le Dr Grace. « Un travail de réparation considérable est nécessaire de la part des opérateurs de sang du Canada pour établir la confiance avec les diverses communautés queer et assurer une application équitable et scientifiquement fondée des politiques déférentes. »
Le Dr Lachowsky estime que cela commence par des excuses et une prise en compte sérieuse des membres de la communauté 2SLGBTQ+ dans le cadre du don de sang.
« Il va falloir du temps et de l’engagement pour réparer les relations et établir la confiance », a-t-il déclaré. « Cependant, il est également important que la Société canadienne du sang s’engage à travailler avec tout le monde au Canada pour renverser et dissiper les stéréotypes et la discrimination qu’elle a inculqués au grand public par ses politiques et ses pratiques. C’est une réparation tout aussi importante. »
Il est intéressant de noter qu’Héma-Québec (le réseau de dons de sang du Québec) n’a pas encore modifié ses politiques de dépistage pour s’aligner sur la Société canadienne du sang. Il supprimera la période d’exclusion de trois mois pour les HRSHgb et les femmes transgenres qui souhaitent donner du plasma en 2022, mais ses critères pour le don de sang resteront les mêmes jusqu’en 2023.
« Nous allons donc avoir deux systèmes et deux processus très différents au Canada, ce qui ne manquera pas de susciter la confusion et l’indignation », a déclaré le Dr Lachowsky.
Perspectives d’avenir
Il ne fait aucun doute que cette dernière modification des critères d’admissibilité au don de sang constitue un grand pas dans la bonne direction et, espérons-le, ne fera qu’encourager la réalisation d’autres travaux susceptibles d’ouvrir la voie à un plus grand nombre de personnes dans le monde.
« Il sera important d’évaluer ces changements au Canada et d’envisager comment nous pouvons utiliser ces preuves pour faire avancer les changements au sein d’Héma-Québec et contribuer aux conversations avec les nombreux autres pays qui interdisent toujours spécifiquement à tous les HRSHgb de donner du sang », a déclaré le Dr Lachowsky.
La Société canadienne du sang et d’autres exploitants de systèmes d’approvisionnement en sang ont également exprimé leur intérêt pour les études en cours visant à évaluer l’impact de la PrEP sur les tests de dépistage sanguin. Si vous travaillez sur ce sujet, n’hésitez pas à les contacter.
Plus d’informations
Si vous souhaitez obtenir des informations sur le don de sang et vous tenir au courant des dernières nouvelles et des critères les plus récents, visitez le site de la Société canadienne du sang site Web.
Il est aussi possible d’aller sur le site Web d’Héma-Québec pour toute information spécifique au Québec.