En 2020, cinq nourrissons ont contracté le VIH au Canada au moment de la naissance ou aux alentours (pendant la période périnatale). Bien que le nombre absolu d’infections périnatales reste relativement faible, il représente le taux le plus élevé signalé au Canada au cours des cinq dernières années et peut avoir été associé à des difficultés d’accès ou de prestation de services de santé au début de la pandémie de la COVID-19. Heureusement, cette tendance ne s’est pas poursuivie en 2021, puisque seuls deux nourrissons ont contracté le VIH, signe d’une adaptation potentielle du système de santé et des femmes vivant avec le VIH pendant la pandémie.
Ces données de surveillance officielles, ainsi que l’interprétation et la mise en contexte des résultats, constituent l’un des principaux résultats du Groupe canadien de recherche pédiatrique et périnatale sur le VIH/sida. Mieux connu sous le nom de CPARG, il a été créé il y a plus de 30 ans par la Dre Susan King (Hospital for Sick Children) à Toronto et le Dr Jack Forbes (BC Children’s Hospital) à Vancouver, avec d’autres chefs de file du domaine, dont le Dr Normand Lapointe (Hôpital Ste-Justine) à Montréal et le Dr Stan Read (Hospital for Sick Children). Le groupe est appuyé par le personnel de la gestion des données et des statistiques du Centre national du Réseau et est actuellement présidé par le Dr Jason Brophy, co-directeur de l’équipe de Perfectionnement de la gestion clinique du Réseau.
Le CPARG est un groupe de cliniciens et de chercheurs qui constitue la principale ressource en matière de VIH pédiatrique au Canada, par le biais d’initiatives éducatives, de projets de recherche et de la création de lignes directrices sur les meilleures pratiques. « Le CPARG est un lieu de discussion sur les questions relatives au VIH pédiatrique et périnatal », explique le Dr Brophy, directeur médical de la clinique VIH du Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO) et professeur associé à l’Université d’Ottawa.
« L’un de nos principaux résultats a été le Programme de surveillance périnatale du VIH au Canada (PSPVC), qui est financé par l’Agence de la santé publique du Canada et qui suit les grossesses touchées par le VIH au Canada », a-t-il déclaré. « Il se poursuit également depuis plus de 30 ans et constitue l’un des projets de surveillance périnatale du VIH les plus anciens au monde. »
Le PSPVC recueille des informations sur les enfants nés de personnes vivant avec le VIH, notamment sur le recours au traitement antirétroviral (TAR) pendant la grossesse et sur l’évolution de l’état de santé du nourrisson, ainsi que des mises à jour annuelles sur les enfants qui ont contracté le VIH. Codirigé par les chercheurs du Réseau, la Dre Laura Sauvé (BC Children’s Hospital) et le Dr Ari Bitnun (Hospital for Sick Children), le PSPVC s’est continuellement adapté aux besoins évolutifs des personnes vivant avec le VIH et de leurs cliniciens, tout en assurant la confidentialité des patients.
Surveillance et collecte des données : Un juste équilibre
Tous les programmes de surveillance de la santé publique doivent trouver un équilibre entre la profondeur et le détail des données recueillies et la nécessité de protéger la vie privée des patients. Le domaine de la transmission périnatale du VIH peut être particulièrement sensible, nécessitant une attention supplémentaire pour protéger les familles et leurs bébés.
« Nous prenons grand soin de ne recueillir que le strict minimum d’informations, afin d’éviter tout risque d’identification », a déclaré le Dr Brophy. « Cela peut être difficile lorsqu’il n’y a qu’un petit nombre de personnes enceintes vivant avec le VIH dans une province donnée et qu’il y a ensuite une transmission périnatale. »
Le PSPVC comporte toutefois des limites, car il ne recueille pas d’information sur les pertes de grossesse, les fausses couches ou les morts fœtales tardives, malgré leur importance pour les patients, les cliniciens et les chercheurs.
« Le PSPVC est très axé sur les bébés », a déclaré le Dr Brophy. « Nous ne pouvons pas collecter de données spécifiques sur les grossesses à moins qu’il n’y ait une naissance vivante d’un enfant, même si la compréhension des résultats négatifs de la grossesse, comme les pertes, est quelque chose qui nous intéresse tous beaucoup. »
Cependant, pour les grossesses avec une naissance vivante dans l’un des 22 centres participants à travers le pays, l’équipe est en mesure de recueillir des informations générales, y compris le nombre total de femmes engagées dans des soins, sous traitement et sous suppression virale.
« Même en l’absence de traitement ou d’interventions préventives, la transmission du VIH ne se produit que dans un cas sur quatre environ », a expliqué le Dr Brophy. « Faire en sorte que les personnes enceintes vivant avec le VIH soient diagnostiquées, sous traitement et indétectables est l’objectif. Lorsque ce n’est pas le cas, la collecte d’informations sur les cas de transmission ainsi que sur les cas évités de justesse nous permet de comprendre ce qui peut être à l’origine des changements dans les taux de transmission. »
Pour la période 1997 à 2016, une publication du PSPVC a montré que la transmission s’est produite dans 28,9 % des cas pour les personnes enceintes non sous traitement antirétroviral, dans 4,3 % des cas pour les personnes sous traitement antirétroviral depuis moins de quatre semaines et dans 0,2 % des cas pour celles sous traitement antirétroviral depuis plus de quatre semaines.
Dans leur résumé à la conférence SIDA 2022 présenté par la Dre Sauvé et décrivant le bond des taux de transmission pendant la pandémie de la COVID-19, les chercheurs ont également souligné qu’il y avait une augmentation correspondante des femmes enceintes vivant avec le VIH qui recevaient un traitement sous-optimal. Cette constatation a permis de signaler que ce groupe constitue une priorité actuelle importante pour le système de santé canadien.
Le Dr Brophy explique également comment le programme de surveillance fait tout son possible pour éviter de stigmatiser ou de marginaliser les personnes et leurs familles confrontées au VIH pendant et après la grossesse.
« Il y a beaucoup de stigmatisation dans ce domaine; par exemple, pour les femmes enceintes nouvellement arrivées au Canada, les personnes qui s’injectent des drogues ou les femmes qui ne participent pas aux soins. Nous ne voulons pas contribuer à la stigmatisation, mais nous voulons aussi nous attaquer aux problèmes qui conduisent à la transmission chez les nourrissons », a déclaré le Dr Brophy. « Nous voulons nous assurer que les gens comprennent que c’est toujours un problème, et qu’il peut être résolu. »
Les chercheurs veulent également éviter de semer la panique dans les communautés et les milieux politiques. « Nous n’avons qu’environ 250 naissances par an de femmes vivant avec le VIH au Canada; de petits changements dans ces chiffres conduisent à des pourcentages plus importants et semblent très inquiétants », a expliqué le Dr Brophy.
Une fois les données recueillies et communiquées à l’Agence de la santé publique du Canada pour ses rapports de surveillance du VIH, l’équipe de surveillance et le groupe élargi du CPARG utilisent leur expertise pour interpréter et partager davantage les données recueillies chaque année et préconiser des changements pour améliorer les efforts de prévention périnatale dans tout le pays.
Mise des données en action
« Le CPARG entretient de bonnes relations avec d’autres organismes qui fournissent des conseils au Canada. Nous avons des membres de liaison au Sous-comité des maladies infectieuses et de l’immunisation de la Société canadienne de pédiatrie et au Comité des maladies infectieuses de la société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC). Nous avons également été invités à nous exprimer sur des sujets par le CCNI pour des conseils sur l’immunisation des enfants séropositif », a déclaré le Dr Brophy.
Les membres du CPARG participent également aux travaux des comités des lignes directrices sur le VIH du Department of Health and Human Services (DHHS) des États-Unis, y compris le Pediatric Treatment Guidelines Panel et le Perinatal Treatment Panel. Bien que chaque pays et chaque région ait ses propres directives en matière de VIH, de nombreuses personnes dans le monde considèrent les directives américaines comme la principale ressource pour la gestion du VIH, explique le Dr Brophy.
Au pays, les membres du CPARG dirigent l’élaboration de lignes directrices canadiennes. La Dre Sarah Khan, chercheuse du Réseau, dont les travaux dans ce domaine ont débuté pendant sa bourse postdoctorale du Réseau, a dirigé l’élaboration de directives sur l’alimentation des nourrissons pour les femmes vivant avec le VIH. En outre, Bitnun et Sauvé élaborent actuellement des directives de la Société canadienne de pédiatrie (SCP), approuvées par le CPARG, sur la prise en charge des nourrissons nés de personnes ayant reçu peu ou pas de soins prénataux, ainsi que des directives à l’intention des pédiatres généralistes s’occupant de nourrissons nés de personnes vivant avec le VIH.
« En tant que cliniciens, nous devons porter des jugements cliniques, mais le fait d’avoir des directives d’organismes normatifs comme la SCP, la SOGC ou le CPARG est plus susceptible d’entraîner un changement de pratique et une meilleure gestion de ces situations », a déclaré le Dr Brophy. « Nous sommes également en contact avec les cliniciens locaux pour nous assurer que nous tirons des enseignements des cas de transmission et que nous essayons de fournir davantage de soutien aux cliniciens là où cela pourrait être nécessaire. »
Recherche pour améliorer les soins
Le jugement et les directives cliniques ont besoin de preuves pour évoluer et s’améliorer, ce que le CPARG fournit grâce à un large éventail de projets de recherche.
Les membres du CPARG ont participé aux premiers essais de la zidovudine pour la prévention de la transmission du VIH du parent à l’enfant, puis aux études sur le traitement antirétroviral chez les enfants. Trente ans plus tard, le groupe continue d’être actif dans la phase suivante de la recherche sur le VIH, notamment en comprenant les implications de l’exposition au VIH et au TAR et en étudiant la rémission virale du VIH chez les enfants.
« La prise en charge de ces nourrissons est un défi. Il est également difficile d’effectuer des recherches prospectives avec eux, ce qui serait la façon idéale d’informer leurs soins », a déclaré le Dr Brophy. « Souvent, nous faisons des analyses rétrospectives pour comprendre quels sont les facteurs qui peuvent entraîner un risque plus élevé de transmissions chez les nourrissons. »
L’étude la plus récente de ce type, publiée au début de 2023, a analysé les données du PSPVC (Canadian Perinatal HIV Surveillance Program, CPHSP) de 1990 à 2020 afin d’identifier toute association entre l’utilisation des TAR chez les femmes enceintes et le risque d’accouchement prématuré ou de faible poids à la naissance. L’équipe a constaté que la mise en place d’un traitement antirétroviral avant la conception était associée à un risque plus faible d’insuffisance pondérale à la naissance et des inhibiteurs d’intégrase étaient associés à un risque plus faible d’accouchement prématuré par rapport aux autres formulations. Ces résultats peuvent désormais être pris en compte lors du conseil en matière de grossesse aux personnes vivant avec le VIH.
« Une grande partie de notre travail est axée sur l’optimisation de la gestion ou l’évaluation des toxicités du traitement antirétroviral et sur la tentative de prioriser les recherches qui contribueront à améliorer la vie des enfants que nous traitons et suivons », a déclaré le Dr Brophy. « Nous sommes intéressés par la création de connaissances qui vont nous permettre de défendre les familles touchées par le VIH et de mieux gérer nos patients. »
Malgré les difficultés à mener des recherches qui suivent les enfants de manière prospective, l’équipe du CPARG a plusieurs études en cours soutenues par le Réseau qui vont au-delà de la surveillance de base et du travail rétrospectif du groupe.
Par exemple, EPIC4 (la CTN 281), dirigée par les investigateurs du Réseau, les Dr Hugo Soudeyns et Fatima Kakkar de l’Hôpital Ste-Justine, examine l’impact de l’initiation précoce ou ultérieure au TAR sur le développement de réservoirs de VIH et le potentiel de guérison fonctionnelle chez les nourrissons et les enfants.
La CTN 291, dirigée par les investigateurs du Réseau, les Dre Hélène Côté à l’UBC et Isabelle Boucoiran à l’Hôpital Ste-Justine, vise à mieux comprendre les facteurs à l’origine des naissances prématurées chez les femmes enceintes atteintes du VIH.
L’étude KIND (la CTN 315), dirigée par la Dre Lena Serghides, investigatrice du Réseau à l’Université de Toronto, examine le développement du cerveau et les fonctions comportementales et cognitives à long terme des enfants exposés au VIH mais non infectés.
Le Dr Brophy souligne la nature collaborative du CPARG, un groupe de cliniciens et de chercheurs partageant les mêmes idées qui se sont réunis pour s’attaquer à une maladie relativement rare mais importante chez les enfants canadiens.
« Nous sommes très collégiaux. Nous nous contactons fréquemment les uns les autres avec des cas à examiner ou des avis sur la façon d’aborder un scénario spécifique », a-t-il déclaré. « Nous sommes très soudés, peut-être parce que nous sommes un petit groupe et que nous nous connaissons depuis longtemps. »
Entre 1997 et 2021, 5 039 nourrissons sont nés de personnes vivant avec le VIH au Canada. Parmi eux, 142 étaient infectés par le VIH et beaucoup pourraient subir les effets à long terme de l’exposition au VIH et au TAR. Ces situations sont relativement rares au Canada et sont de moins en moins nombreuses, grâce notamment aux cliniciens et chercheurs du CPARG, et à leurs collègues, qui continuent de recueillir des données et de diriger des recherches pour trouver des solutions à l’épidémie de VIH chez les enfants canadiens.
Pour de plus amples informations, ainsi que sur le PSPVC, visitez le site : www.cparg.ca