Cette histoire commence au début de 2014, quelques mois après mon arrivée au Canada comme étudiant étranger poursuivant des études doctorales en statistique. Séronégatif quand j’ai quitté l’Europe en août 2013, j’ai reçu un diagnostic de séropositivité à Montréal en janvier 2014. Ce diagnostic a été la première étape d’un parcours qui allait me mener des profondeurs du désespoir à une situation de patient-chercheur accompli.

Dr Serge Vicente

Au moment de mon diagnostic, j’étais persuadé que le VIH était encore une condamnation à mort. Je ne connaissais même pas l’existence du traitement antirétroviral (TAR). J’ai eu la chance d’être aiguillé vers le Service des maladies virales chroniques du Centre universitaire de santé McGill à Montréal, où j’ai rencontré le Dr Bertrand Lebouché, qui allait devenir mon médecin. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à me familiariser avec le VIH à partir des concepts les plus élémentaires; j’étais une page vierge, qui n’attendait que du contenu. J’ai entendu parler du TAR et de la manière dont il en est arrivé à faire du VIH une maladie chronique. Mais un autre obstacle se profilait à l’horizon : pour un étudiant étranger, le TAR n’était pas couvert au Canada et je devais payer les médicaments de ma poche. Cela m’était impossible, parce qu’en tant qu’étudiant étranger, dépenser 2 000 $ par mois en médicaments était au-dessus de mes moyens. Après des mois et des mois d’innombrables tentatives et de stratégies infructueuses, le Dr Lebouché a pu m’inscrire à une étude clinique qui me donnerait accès au traitement contre le VIH. En décembre 2015, l’équipe de recherche du Dr Lebouché m’a invité à faire partie d’un comité de patients séropositifs chargés de donner leur avis sur ses projets. L’équipe s’est intéressée à mon point de vue à cause de mon expertise et de mon expérience des obstacles à l’accès au TAR. Durant ma collaboration au comité de patients, l’équipe de recherche a découvert mon expertise en statistiques et m’a invité à me joindre à eux en qualité de chercheur, pour les aider dans les analyses quantitatives. En septembre 2016, dans le cadre de sa chaire de mentorat sur les essais cliniques novateurs liés au VIH de la Stratégie de recherche axée sur le patient des Instituts de recherche en santé du Canada, je me suis joint officiellement à l’équipe du Dr Lebouché, à la fois comme mentoré et comme stagiaire de recherche. Et ainsi, un nouveau personnage est apparu : le patient-chercheur, acteur hybride, impliqué dans la recherche avec une double compétence de personne vivant avec le VIH et de statisticien. Depuis lors, j’ai participé à d’innombrables projets de recherche sur le VIH, sur lesquels je donne mon avis et je contribue à des publications évaluées par des pairs. En 2021, après avoir terminé mon doctorat, j’ai décidé d’aller plus loin. Avec l’appui du Dr Lebouché, j’ai postulé à une bourse postdoctorale du Réseau, que j’ai obtenue pour une période de deux ans. Pour moi, cela représentait l’aboutissement de mon parcours pour devenir patient-chercheur, et de toute l’expérience et l’expertise que j’ai acquises en cours de route.

Être un patient-chercheur comporte de nombreux défis. C’est un processus graduel qui peut s’échelonner sur des années. Comme je me plais à le dire, « gagner des batailles ne veut pas dire gagner la guerre » – le chemin n’est pas sans embûches et j’ai fait face à de nombreux obstacles en cours de route. Il peut être difficile d’intégrer les différents aspects de nos vies – si nos identités sociales, universitaires, professionnelles et personnelles interagissent, leur chevauchement peut aussi entraîner des contradictions et de la résistance. À cause de cette tension, il est indispensable de reconnaître les incidences physiques, psychologiques, émotionnelles et sociales de la vie avec le VIH avant de s’impliquer dans la recherche. Selon certaines personnes, la participation des patients à la recherche peut être remise en question comme étant non représentative, non valide et subjective. À mon avis, se joindre au Réseau en tant que boursier postdoctoral est l’une des meilleures stratégies pour surmonter ces défis et ces obstacles. Ce vaste réseau et partenariat pancanadien de chercheurs et de personnes vivant avec le VIH peut donner la parole aux personnes séropositives, en leur permettant d’exprimer leur expertise dans un contexte scientifique et objectif. C’est l’expérience que j’ai vécue. Selon moi, ma bourse constitue une sorte de récompense pour mes luttes depuis que j’ai appris que j’étais infecté par le VIH. C’est une reconnaissance formelle de tous mes efforts pour surmonter les obstacles à l’accès aux traitements du VIH, de toutes les connaissances que j’ai acquises. Ma bourse m’a permis de formaliser mon passage du statut de participant passif à celui de contributeur actif. Être en contact avec autant de professionnels de la santé, de chercheurs et de personnes séropositives m’a permis d’approfondir mes connaissances et d’apprendre des faits sur le VIH qui sont indispensables pour lutter contre la désinformation et les idées fausses sur le virus. Le Réseau donne aux personnes séropositives l’espace nécessaire pour s’impliquer dans la recherche et même devenir boursiers postdoctoraux, comme dans mon cas. Un soutien structuré à l’implication des patients dans la recherche permet de lutter contre les fausses accusations de manque de crédibilité scientifique auxquelles les personnes vivant avec le VIH peuvent être confrontées.

Dr Vicente presenting at CAHR 2023Mon parcours de deux ans de boursier postdoctoral du Réseau m’a aidé à consolider mon statut de patient-chercheur sur le VIH. Cela m’a ouvert de nombreuses portes et m’a mis en contact avec d’innombrables collaborateurs, auprès desquels j’ai tant appris et avec qui j’ai partagé avec plaisir toute l’expérience que j’ai acquise. Sur le plan universitaire, ce fut une période très productive, où j’ai participé à de nombreux projets et publications. Le moment le plus enthousiasmant de mon stage postdoctoral a été le Symposium du Réseau lors du congrès 2023 de l’ACRV à Québec. J’y ai présenté toutes les recherches auxquelles j’ai participé comme co-auteur. J’ai aussi présenté mon propre projet, que j’ai commencé à élaborer au cours de ces deux années. Enfin, je suis « sorti du placard » comme patient-chercheur, et j’ai été agréablement surpris par les réactions et les commentaires positifs que j’ai reçus du public. Cette métamorphose aurait été impossible sans ma bourse. Maintenant que mon parcours touche à sa fin, je peux dire que je suis très fier de la personne que je suis aujourd’hui et que j’ai fait la paix avec mon passé et avec mon état chronique de personne vivant avec le VIH. Pour poursuivre cette expérience positive et l’étendre à d’autres, j’encourage le Réseau à continuer d’impliquer les personnes vivant avec le VIH dans des stages postdoctoraux, comme il l’a fait avec moi!

 

Écrit par :

CTN Communications

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